LE MASSACRE DE CAZALE 
27 MARS 1969- 27 MARS 2019
50 ANS

Au temps fort de la dictature duvaliériste a eu lieu un des massacres les plus sauvages de la population rurale, le massacre de Cazale, du 29 mars au 12 avril 1969.

Dans le village de Cazale (parfois orthographié Casale ou Casal), au nord de Port-au-Prince, des soldats de l’armée et des tontons macoutes ont perpétré un des plus sauvages massacres de population civile sous le régime Duvalier.
Le village de Cazale a été l'un des endroits où le Parti d'Entente Populaire (PEP), le parti communiste fondé par Jacques Stéphen Alexis en 1959, s'est implanté avec succès jouissant de l'appui de la population. En 1965, le PEP fit le choix de la lutte armée dans le cadre de la ligne politique de « marronnage moderne » définie dans les Voies Tactiques vers la Nouvelle Indépendance. En rapport avec la théorie du « foco », et fort de l'expérience de la révolution cubaine, le PEP initia des actions de guérilla devant s'étendre par la multiplication de foyers de résistance organisés. Les dirigeants du PEP délimitèrent un triangle d'action, « le triangle El Che », dont les sommets étaient : Cazale, Cabaret et l'Arcahaie.

Rentré clandestinement en Haïti en août 1967, Alix Lamaute fut affecté à Cazale où il devait construire, avec Roger Méhu et d’autres camarades du parti, originaires de Cazale, une base politico-militaire en lutte contre les abus de la dictature, des macoutes et du chef de section de la localité, contre les taxes iniques prélevées sur les paysans, contre l’accaparement de l’eau par les paysans riches et les grands propriétaires, les « gran don », de Cabaret. Cazale était en proie à de multiples injustices : interdiction, cinq jours sur sept, d'utiliser l'eau de la rivière pour irriguer les terres, obligation de payer des taxes excessives par rapport au prix de vente de la production, exercice abusif de la contrainte par corps par les autorités locales. La population cazaloise, incluant certains tontons macoutes, s'était rebellée contre ces injustices en refusant de payer des taxes sur les ventes de produits agricoles, s’aliénant ainsi le régime de Duvalier.

En réaction à des arrestations opérées à Cazale le 27 mars 1969, sur ordre de Cabaret/Duvalier Ville, neuf combattants, dont Alix Lamaute, Roger Méhu, Jérémy Eliazer (ancien soldat), Nefort Victomé (directeur de l'école nationale de Cazale), Kelson Inomé, Lamarre St-Germain, se rendirent au bureau local des Volontaires de la Sécurité Nationale (VSN) où ils hissèrent le drapeau le drapeau bleu et rouge en lieu et place du drapeau noir et rouge de Duvalier.

La riposte des partisans de Duvalier fut immédiate et sans pitié. Dans la nuit du 28 mars, un groupe de soldats et de tontons macoutes se dirigea vers Cazale. Pour mater la population cazaloise, les forces militaro-macoutes vinrent de Port-au-Prince (Casernes Dessalines), Gonaïves, Mirebalais, Saut-d’Eau, de l’Arcahaie et de Cabaret. Les partisans duvaliéristes voulurent en faire un exemple d'autant plus que plusieurs d'entre eux nourrissaient une véritable haine envers la population cazaloise considérée "claire de peau". Duvalier avait su utiliser la problématique des préjugés de couleur de peau en Haïti comme toile de fonds afin d'imposer ses desseins dictatoriaux.

Dès le 29 mars, la répression s'installa et le 30 mars, les renforts arrivèrent à Cazale. Antioch Benoît a été battu et fusillé. Olive Eliazer (soeur de Jérémy Eliazer) enterrée vivante sous le quénépier de "Lakou Da". Benoît Philantus, Diméus Inomé (père de Kelson Inomé), Gadener Benoît (coiffeur et cultivateur) ont été exécutés.

La population civile est mobilisée pour patrouiller les mornes, rechercher les combattants. Alix Lamaute et Lamarre St-Germain sont tués lors d'un échange de tirs; et leurs têtes ont été tranchées et apportées à Duvalier. Les jours suivants, des personnes qui avaient ouvertement dénoncé les abus commis dans la perception des taxes de marché sont arrêtées et tuées. D'autres parents ou amis des combattants, hommes et femmes, sont arrêtés, passés à tabac, emprisonnés à la caserne de Duvalier Ville, aux Casernes Dessalines, au Pénitencier National et au Fort Dimanche. Les forces militaro-macoutes pillèrent et mirent le feu à plusieurs maisons et violèrent un nombre indéterminé de femmes cazaloises.

Le 5 avril, de nouveaux détachements de soldats et tontons macoutes arrivèrent en renfort à Cazale et intensifièrent la tuerie. À la fin de la journée, 25 corps ont été retrouvés et environ 80 autres individus portés disparus. Jérémy Eliazer et Roger Méhu, capturés, conduits aux Casernes Dessalines d'où ils ne revinrent jamais. Plusieurs familles ont été entièrement massacrées. Des trentaines de maisons ont été pillées et incendiées; le bétail tué ou volé. Les soldats qui sont demeurés dans le village ont forcé les femmes à danser et à «célébrer la victoire» de Duvalier en faisant sonner les cloches de l'Église Saint-Michel.

Et si le 12 avril 1969 marqua la fin de cette vague de barbarie, la population cazaloise fut placée sous un régime de liberté surveillée très strict. D'autres arrestations eurent lieu après 1969. Dans son livre Fort-Dimanche Fort-la-mort, Patrick Lemoine, témoigne du sort de Philippe Dulaurier (tailleur arrêté lors des opérations à Cazale) et de Théophile Victomé (étudiant arrêté en 1971), tous deux morts au Fort Dimanche en 1975. Willy Joseph avait été arrêté à son arrivée à l'aéroport, avant la répression en mars 1969.

Quelques-uns des Cazalois arrêtés ont survécu et passèrent entre sept et dix ans en prison

Les Cazalois se souviennent:
En 1986, après la chute de Jean-Claude Duvalier, quelques personnes originaires de Cazale et établies à l'étranger ont cotisé pour construire une stèle en hommage aux disparus de la répression de 1969. C'est ce monument qui est orné et qui sert de référence.
Au cours de l'année 1987, sur la base des témoignages recueillis, une seconde plaque a été apposée allongeant la liste des disparus. On a ajouté, entre autres, le nom de Mme Nefort Victomé. La maison de Nefort Victomé et de son épouse a été totalement détruite par l'incendie, "rapyetè". En décembre 1986, on voyait encore le socle de la maison.

( source :Site Haiti lutte contre l 'Impunité )